La chauve-souris et le pangolin

Conte offert par Hélène Cazes

Loin de la ville, lui dans son trou et elle dans sa grotte,

Vivaient tranquilles la chauve-souris et le pangolin.

Leur bonne amitié souffrait seulement de leurs horaires décalés.

Au petit matin, durant le déjeuner du pangolin qui était le dîner de la chauve-souris, ils devisaient avant qu’elle se couche et qu’il se mette en chasse.

Un jour, de derrière les bosquets, surgit à l’aube un paysan en quête de fortune. Le pangolin se réveillait paresseusement. Le chasseur avait sorti son arbalète et déjà il tendait la corde fatale quand la chauve-souris s’attacha à ses cheveux, l’affola et sauva son ami. Le paysan repartit en jurant et en toussant. Les deux compagnons déjeunèrent sans plus y penser.

Le lendemain, quand l’aube blanchissait la clairière, le vacarme d’un moteur tira le pangolin de ses rêves et chassa la chauve-souris dans les branches d’un arbre. C’était un promoteur qui venait avec les plans d’un nouveau lotissement pour désengorger les banlieues. Il lui suffisait d’abattre les grottes pour aplanir le terrain et  le joncher de pavillons avec garage en annexe. Le pangolin, fâché de ce bruyant visiteur, lui mordit hardiment le mollet. Effrayé, le souffle court, l’homme en costume fila vers sa voiture. Les deux compagnons déjeunèrent sans plus y penser.

Quelques jours passèrent et vinrent un matin des tracteurs, pelleteuses et camions chargés de figures casquées portant des vêtements fluorescents. La clairière des amis venait d’être déclarée zone de forage, du pétrole gisait sous la mousse. Terrifiés, les deux amis eurent le courage de cracher leur dégoût au visage des envahisseurs avant de s’enfuir.

Les travaux furent entamés. Mais ils n’avançaient guère. Les ouvriers toussaient, s’étouffaient, s’effondraient. Les fougères, les mousses et les lianes finirent par recouvrir leurs machines : ils étaient partis pour ne plus revenir.

Longtemps, longtemps après, la chauve-souris et le pangolin quittèrent le creux obscur de la forêt pour revenir chez eux. Le matin se levait, calme, heureux. Ils déjeunèrent sans plus y penser.

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